Et l'école, qu'est-ce que ça donne?
Gros dossier!
Beaucoup d'entre vous savent que mon école n'était pas construite au moment de notre départ. Ni même au moment de la rentrée. On nous donc placés en surnuméraires dans les écoles des environs pendant que nos élèves erraient dans la nature... (cf premier article avec les photos du terrain vague...)
Alors quand, une semaine plus tard, on m'a proposé de prendre la deuxième classe de CP, pour laquelle il manquait un enseignant, je me suis dit que ce serait l'occasion d'essayer le CP (classe chargée en pression pour un instit!) et d'arrêter d'errer sans but... ;) Car la mairie de Saint Laurent a fait le bel effort de louer des bungalows (autrement appelés algeco ou préfabriqués, soit des boites en fer où l'on cuit) pour les 2 classes de CP le temps que l'école soit construite.
C'est sur ce terrain que j'ai commencé mon année; il y avait là 2 classes, une "boîte" pour le directeur, une autre pour les agents de service et une autre pour les toilettes.
J'ai donc dit oui le jeudi 12 septembre et commençais le lundi suivant avec douze CP (forcément, après 2 semaines d'attente, ils n'y croyaient plus). C'est le jour que Papa a choisi pour mourir. Je suis quand même allée travailler le lendemain - avec 15 élèves -, le temps d'organiser mon départ pour la France.
De retour, autant vous dire que les 10 élèves arrivés entre temps et qui ont passé une semaine avec ma remplaçante ont mis un moment à comprendre que c'était moi leur enseignante...
Ils ressemblent à quoi, mes élèves?
Ils sont principalement bushinengés, autrement dit des noirs marrons, descendants d'esclaves enfuis des exploitations autrefois. C'est une communauté très attachée à sa langue, à sa culture, à ses traditions. Du coup, beaucoup d'élèves arrivent à l'école sans parler ni comprendre le français.
Il parait que j'aurais aussi quelques Haïtiens mais je ne les reconnais pas encore...
Je n'ai pas le droit de publier des photos d'eux, alors vous n'en verrez pas... :'(
Mon école a été construite pour les enfants qui habitent sur la route (en latérite) de Paul Isnard, où la plupart des "maisons" sont en bois et tôle ondulée et, a priori, parfois sans eau courante ni électricité. On m'avait dit que certains enfants n'avaient pas de toilettes chez eux, et que c'est la raison pour laquelle ils faisaient parfois leurs besoins dans un coin de la cour, alors je m'attendais à ce que ça arrive chez nous, mais a priori ça n'a pas - encore - eu lieu.
L'entrée de l'école Paul Isnard. Nous avons un beau chemin d'entrée en ciment depuis le jour de la rentrée de janvier où nous avons failli fermer l'école tellement les ornières boueuses étaient impraticables et dangereuses pour les enfants...
Certains viennent du Suriname, depuis peu et ne parlent pas du tout français. Certains n'ont jamais été scolarisés, on les appelle des "primo". Pour quasiment tous, la langue maternelle est le taki-taki (langue bushinengé). Ca fait une bonne moitié de ma classe qui parle très mal français, et à qui il est donc très complexe d'enseigner la lecture et l'écriture. Quand on ne comprend pas ce qu'on lit ou ce qu'on doit écrire, c'est tout de suite moins facile... et quand en plus on est de culture orale et qu'on ne trouve aucun sens à cet apprentissage, ça devient carrément une gageüre!!
Je dois par conséquent apprendre avant tout à ceux-ci du vocabulaire (celui des consignes, du matériel scolaire, des émotions, etc.), ce qui ne passionne pas les autres qui le connaissent déjà et qui doivent avancer sur le programme chargé du CP.
J'ai donc essayé de scinder ma classe en deux, en mettant la moitié en autonomie pendant que l'autre travaille avec moi. Quand j'ai vu que 3 conflits émergeaient à la minute et que les élèves ne s'en sortaient pas tout seuls, même sur des tâches simples (un coloriage magique par exemple), j'ai commencé à déprimer... ;-)
Car mes élèves, qui sont souvent sans adulte à la maison et sont très tôt autonomes pour faire les tâches ménagères ou s'occuper des nombreux petits frères et soeurs, le sont beaucoup moins quand il s'agit d'un travail scolaire, qui nécessite calme, silence et concentration...
Ma classe vue de l'entrée. Mon plus gros budget: les feuillets à plastifier (j'ai d'ailleurs investi dans une plastifieuse) et les crayons à papier, qui ont une espérance de vie très limitée dans cet endroit...
Après avoir beaucoup instisté auprès des parents pour qu'ils achètent les fichiers de lecture et de mathématiques, je me suis rendu compte que les exercices qu'ils contenaient n'était pas du tout appropriés à mes élèves (surtout en lecture/écriture: beaucoup trop difficiles), je me suis carrément arraché les cheveux. Il fallait remplir ces fichiers pour honorer l'investissement de la moitié des parents qui les avaient achetés, mais mes séances tournaient au remplissage dicté car ils n'y comprenaient rien. Et il fallait gérer les élèves qui ne les avaient pas... Heureusement, mon fichier de français comporte 2 tomes, et je suis enfin arrivée à la fin du premier. Vous vous douterez que je me suis abstenue de demander aux parents d'acheter le deuxième. Je fonctionne maintenant principalement avec des jeux oraux de conscience phonologique, et pendant que mon groupe de "bons" (ce sont les guépards) commence a avoir pigé certains exercices d'entrainement à l'écrit, je prends les moins bons (les dauphins) pour du langage ou de la reconnaissance des lettres, niveau maternelle.
Quittons ces considérations pédagogiques, revenons aux conditions de travail. Quand je dis que notre école est construite, c'est que les bungalows (les mêmes que ceux que nous louions) ont été posés sur le terrain et approvisionnés en eau et en électricité. Pour faire des économies et pour sa politique écologique (les élections municipales approchent!), la mairie de Saint Laurent innove en terme de régulation thermique avec un système de toît en tôle posé un mètre au-dessus de nos cubes-classes et censé rafraîchir. Trois petits ventilateurs font le plaisir de tous les enseignants quand nous faisons du découpage et que tous les petits morceaux s'envolent. Bilan des opérations: une moyenne de 30°C dans ma classe à partir de 10h30, parfois 32 les jours de beau temps. ON VEUT LA CLIM!! (elle était dans nos premiers préfa, ça change la vie!) Fuck la planète!! (pardon).
La cour de l'école. Les 7 classes de maternelles et les 2 CP sont collées les unes aux autres autour de cette cour. Au départ, le préau était un chapiteau en plastique. Certains parents réclament que leurs enfants ne jouent pas dans le sable pour ne pas se salir. Pas évident...
Comme notre école se crée, nous n'avons pas toutes les ressources qui sont, présentes dans les autres écoles: des Intervenants Langue Maternelle pour les enfants qui ne parlent pas français en maternelle, des classes de CLIN pour les élèves néo-arrivants en élémentaire, des Auxiliaires de Vie Scolaire pour les élèves porteurs de handicap, ... Je me sens bien seule avec mes problèmes de langue et de comportement! Entre l'agressif qui mord et pince sans raison, crie et tape sur sa table, celui qui n'est jamais là parce qu'il habite trop loin et dort quand il est là, celui qui pleure 7 fois par jour, celle qui ne parle pas et refuse de participer aux activités collectives, ceux qui décident de faire ce qu'ils veulent quand ils veulent, celle qui se croit persécutée et s'en plaint toute la journée, sans compter tous ceux qui ne savent pas rester assis ou silencieux plus d'une minute, je ne sais parfois plus où donner de la tête...
Quant aux horaires, pour échapper à la chaleur de l'après-midi et aussi parce que la mairie ne pourrait pas assurer un service de cantine, nous travaillons de manière continue de 7h20 à 12h45, entrecoupées par 2 récréations de 20 minutes (j'en surveille une sur les 2). Ca fait beaucoup, 5h30 d'affilée sans vraie coupure, surtout à partir de 11h quand on commence à avoir vraiment chaud. Tout le monde fatigue! Je reste en général jusqu'à 14h bien tapées pour ranger, préparer le lendemain, corriger cahiers et fichiers. Gaël m'attend gentiment pour déjeuner... Et pour les recherches au long cours, je travaille à la maison.
Les coins bibliothèque (livres et jeux), matériel et regroupement dans ma classe.
PS: Au fait, pour ma rage, potentiellement attrapée en Martinique par un chat énervé, comme il va très bien, moi aussi et je ne risque rien! Merci à ceux qui s'en sont préoccupés! :)